À travers LinkedIn, vendredi dernier, j’ai écrit ce message à monsieur Gilles Ballot, car il est donné comme CEO de Carrefour Roumanie depuis février 2024. Comme il n’a pas réagi, j’ai décidé de publier ce message en tant que lettre ouverte. Le voici :

Cher Monsieur,

Vu que Carrefour Roumanie ne possède pas de page Facebook, sauf celle de Carrefour France, je m’adresse à vous par le biais de la messagerie de LinkedIn. 

Votre passé multinational devrait me donner de l’espoir en ce qui concerne votre capacité de compréhension des sujets que je vais aborder. Je dois vous avouer, toutefois, que je base mon espoir sur votre passage par l’ESSEC et sur vos activités en Roumanie (Danone), Pologne, Belgique et Italie ; London Business School résonne mal avec moi, car à mon avis l’influence anglo-américaine a pourri les marchés européens, et d’autant plus le style de management. Franchement, si l’on me montre une liste de 20 CEO (ou PDG, si vous préférez), il y a grande chance que j’identifie 18 ou 19 imbéciles, tarés, ou dégénérés. Je ne suis pas anarchiste, mais seulement réaliste. Je n’adhère à aucun dogme, mais je déteste les écoles de commerce, d’affaires, et de finance de Londres. Je ne fais pas confiance aux cadres de commerce, mais je veux croire en l’humanité. Jusqu’à maintenant, j’ai toujours été déçu par les grandes entreprises et leurs dirigeants, et je n’ai pas découvert de l’humanité que chez les plus petits des entrepreneurs (et encore…).

Passons à nos moutons et à votre entreprise. Saviez-vous, Monsieur, en quoi Carrefour Roumanie est la pire enseigne de la grande distribution en Roumanie ? Non, vous n’avez pas deviné, ce n’est pas parce que la gamme de produits est de moins en moins diverse et de plus en plus minable et de médiocre qualité. C’est pareil avec les autres (mettons Auchan, Kaufland, LIDL, Mega Image pour la Roumanie) et partout (ajoutons REWE et EDEKA pour l’Allemagne).

Avez-vous déjà fait vos courses chez Carrefour en Roumanie ? Plus exactement, y avez-vous acheté des légumes ou des fruits en vrac, dont le client doit les peser lui-même ?

Chez tous vos compétiteurs, en Roumanie ou ailleurs au monde, la balance de pesée offre deux options : « J’utilise un sac en plastique » (ou un sac en papier, selon le cas) et « Je n’utilise aucun emballage ». Chez Carrefour Roumanie, c’est différent. Le client est informé que « le poids du sachet en plastique sera automatiquement déduit du poids de la marchandise ». Ben… quel sac ou sachet ? On ne m’a rien demandé ! Comment savent-ils que j’utilise un tel truc ?

Vous devriez savoir que dans les pays un peu plus civilisés, on procède de la sorte : quand on achète un citron, un pamplemousse, un oignon, ou même trois oranges ou trois pommes de terre, parfois les gens les pèsent tels quels, sans aucun emballage, puis l’étiquette avec le prix est collée sur l’un de ces fruits ou légumes. On n’a pas le droit de faire ça dans les établissements Carrefour, Carrefour market, Carrefour express en Roumanie !

Il y a quelques jours, j’ai acheté un oignon chez Carrefour, pour le prix dérisoire de 0,34 lei. Tout est bien qui finit bien… ce qui ne fut pas le cas. Le logiciel de merde de vos caisses de paiement est configuré pour ajouter à chaque produit en vrac « PUNGA BARIERA 31X34 » pour le prix de 0,10 lei.

Ça veut dire un sac en plastique. Je ne sais pas de quelle barrière s’agissait-il, mais je pense que c’est du novlangue. Barrière contre les germes, c’est ça ? Serait-il alors obligatoire de tout emballer, pour des hypothétiques raisons d’hygiène qui ne sont connues que par Carrefour Roumanie et personne d’autre ?

En tout cas, ce bon de caisse, sur lequel y est écrit BON FISCAL, est la preuve que Carrefour Roumanie enfreint la loi.

  1. Si l’on considère que ce sac en plastique accompagne chaque produit en vrac acheté, que le client le veuille ou non, cela s’appelle vente conditionnée ou vente forcée, ce qui est illégal et puni par la loi. Pour la Roumanie, étudiez le texte de l’Ordonnance 99/2000 (l’article 51 pour la vente conditionnée, l’articles 53 et 54 pour la vente forcée), entérinée par la Loi 650/2002. Les sanctions sont malheureusement minimes, avec des amendes allant de 500 lei à 2 000 lei.
  2. Si l’on considère les faits, en l’occurrence mon achat d’un oignon sans aucun emballage, nous sommes dans le cas suivant : « La comptabilisation, dans les registres comptables ou dans d’autres documents juridiques, de dépenses qui ne sont pas fondées sur des transactions réelles ou la comptabilisation d’autres transactions fictives », cf. Art. 9 alin. (1) c) de la Loi 241/2005. Ce fait est considéré comme un délit de fraude fiscale et passible d’une peine d’emprisonnement de 2 à 8 ans. Voir en la matière le jugement de la Haute Cour de Cassation et Justice (ÎCCJ) 21/2017.

Je vous le jure que, si j’étais avocat, je vous porterais en justice ! Hélas, je ne le suis pas.

En principe, c’est très simple : modifiez ce putain de logiciel de merde pour permettre au client de préciser son choix en matière d’emballage. Qui est le crétin qui a validé ce logiciel ? Qui est l’imbécile de chef de projet ? Ont-ils tous reçu leurs primes ? Ne se sont-ils jamais approvisionnés auprès d’autres enseignes, pour constater comment ça marche ?

Deuzio, vous prétendez être, comme tout le monde, soucieux de l’environnement, et patati, et patata. Vous vous foutez de nos gueules, c’est ça ? Pas de sacs en papier et vente forcée des sacs en plastique, ça s’appelle comment dans le Nouveau Testament de la London Business School ?

Côté biodégradabilité de ces sacs en plastique, j’ai une belle histoire à vous raconter.

Depuis le 30 décembre 2005, la Roumanie a mis en place une taxe sur les sacs en plastique non biodégradables. Pour reprendre la terminologie de la Directive (UE) 2015/720, il s’agit de sacs qui ne sont pas compostables, les termes biodégradables et oxobiodégradables étant trompeurs.

À titre de renseignement, je vous traduis depuis l’ORDONNANCE D’URGENCE n° 196 du 22 décembre 2005, modifiée : « À partir du 01-01-2023, conformément au point 8 de l’article I en liaison avec les dispositions du paragraphe (1) de l’article II de l’ORDONNANCE D’URGENCE n° 125 du 16 septembre 2022, publiée dans le BULLETIN OFFICIEL n° 922 du 20 septembre 2022, le point q) du paragraphe (1) de l’article 9 est modifié et doit être lu comme suit :
q) l’écotaxe, d’un montant de 0,15 lei/pièce, appliquée à tous les sacs de caisse, à l’exception de ceux constitués de matériaux conformes aux exigences de la norme SR EN 13432:2002. »

Corroborons cela par une autre information de juin 2018 : « Carrefour Roumanie introduit des sacs 100 % biodégradables dans tout le pays, a déclaré Anca Damour, directrice des affaires générales et de la communication de Carrefour Roumanie. Pour commencer, les sacs 100 % biodégradables seront disponibles pour les clients de Carrefour en deux formats, avec une capacité de 5 kg et 7 kg respectivement. » Pour éviter toute confusion avec le terme générique biodégradable, il s’agit de sacs compostables conformes aux certifications S0708 et EN 13432:2002.

Wunderbar, comme aurait dit Charlemagne. Donc, vous avez des emballages compostables. (Entre nous, ces sacs censés supporter 7 kg sont la merde des merdes. Ils se dégradent à la vue de l’œil. Toute boîte en carton les pique et les déchire, de manière que l’on risque de ne pas arriver à la maison avec tout le contenu. M’enfin, on est verts, quoi.) Bien sûr, pour les sacs d’une capacité de 5 ou 7 kilos, le fait qu’ils ne soient pas gratuits est légitime. Mais que les petits sacs transparents utilisés pour l’emballage des fruits et des légumes par le client soient payants, ça, c’est une autre histoire.

Seraient vos petits sacs dits « sachet-barrière » pas en plastique compostable ? Si c’est le cas, pourquoi ? Et si c’est le cas, pourquoi le prix de 0,10 lei ? Encore une fois, vous vous foutez de la clientèle ?

Je pense qu’en réalité, ils sont tous compostables. Sinon, avec une écotaxe de 0,15 lei et un prix de vente forcée de 0,10 lei, il y a quelque chose qui cloche.

Avant la diabolisation des sacs en plastique, les sacs de petites dimensions étaient gratuits. Les petits sacs compostables selon la norme 13432:2002 peuvent toujours l’être. En Allemagne, ce genre de sacs compostables sont gratuits. Les sacs en papier de petite taille sont gratuits. Allô, Carrefour Roumanie, voulez-vous enfin montrer un peu de respect envers votre clientèle ?

(Kaufland aussi vend les sacs en plastique « compostables à domicile selon la norme EN 13432 » pour 0,10 lei, mais ils ne vous les font pas avaler de force. Vous pouvez ne pas les utiliser et vous ne payez rien.)

Puisqu’on est au chapitre respect (un concept largement inconnu dans la sphère des dirigeants des corporations), je vois que vous êtes passé par Carrefour Italie (GS S.p.A. de son vrai nom, sempre et toujours).

À ce titre, vous devez savoir que, par le décret législatif n° 145/2017, entré en vigueur le 1ᵉʳ avril 2018, les produits alimentaires destinés au marché intérieur italien ont l’obligation de faire figurer sur l’emballage les informations relatives aux lieux exacts de fabrication et de conditionnement, ainsi qu’aux entreprises exerçant ces activités. Ainsi, en Italie, on ne trouve plus de produits alimentaires étiquetés « Produit dans l’UE pour Carrefour Italia », mais seulement « Prodotto e confezionato da X nello stabilimento di Y ». Et si l’emballage (le conditionnement) est effectué dans un établissement différent de celui où le produit est fabriqué, les deux doivent être indiqués, avec l’adresse exacte.

Cette mesure a été jugée nécessaire par un gouvernement italien conservateur car, en l’absence de législation obligeant les entreprises à respecter leurs clients, celles-ci, pardon my French, chient sur leurs clients.

Le règlement (UE) n° 1169/2011 prévoit que les denrées alimentaires laitières et à base de viande doivent être étiquetées avec des informations sur l’origine du produit, y compris un code de producteur. Mais le nom et la location exacte du producteur ne sont pas exigés, et il n’y a pas de site web où le consommateur pourrait trouver la correspondance entre le code du producteur et son nom et la location du conditionnement.

Contrairement aux attentes, pour une fois, un gouvernement d’un pays européen a pensé à ses citoyens et il a imposé davantage de transparence de la part de ceux qui commercialisent des aliments, donc plus de respect pour le consommateur.

Pourquoi il n’y a aucune grosse enseigne de distribution qui, pour ses propres marques, adopte une telle mesure de respect envers sa clientèle ? Qu’espérez-vous obtenir en cachant le fabricant réel d’un produit ?

De toute façon, les produits laitiers doivent comporter cet ovale qui indique le conditionneur du produit. Par conséquent, il y a des fromages sous la marque Carrefour Roumanie (du « cașcaval ») sur lesquels même le nom complet du producteur y est inscrit. Mais pour les autres produits, quel serait l’avantage matériel de Carrefour de garder le secret ?

Prenons le pain de type toast, Carrefour Classic ou Carrefour Extra. Malgré le manque d’information officielle, j’ai identifié dans ces gammes du pain fait par Vel Pitar, et du pain fait par KB. Il y en a d’autres producteurs, pas tous identifiables.

Pourquoi tenez-vous à tout prix que l’emballage ne donne aucune information concernant le producteur ?

Il se peut que vous n’ayez aucune autonomie dans ce sens-ci. Vous avez, sans doute, des objectifs relatifs à la CA et au bénéfice, mais peut-être vous n’avez pas la liberté de changer quoi que ce soit dans le fonctionnement de Carrefour Roumanie.

Si c’est le cas, dites à vos supérieurs qu’ils sont des imbéciles. Avec leurs hautes études en marketing, ventes, publicité, PNL, manipulation du public et que sais-je d’autres, ils ne comprennent rien du comportement du public. Même le plus incompétent des sociologues ou des psychologues, sans parler des économistes comportementalistes, pourrait les faire apprendre le fait suivant.

Le public, et d’autant plus le public des pays anciennement « socialistes », où sur chaque produit y était marqué le lieu exact de fabrication, se sent insulté par ce manque d’information devenu la norme dans les trois dernières décennies. Le public pense : « Oh, ils utilisent le moins cher des sous-traitants, quelqu’un dans un atelier de merde, et ils n’osent pas nous le dire. » Acheter la marque ou les marques de Carrefour n’est alors pas un acte accompagné de joie, mais parfois de honte, de tristesse, de vexation. « Le prix est plutôt pas mal, le produit est assez bon, je le prends. »

Mais, parfois, le produit est de qualité et le producteur assez fameux ou apprécié. Si nous revenons aux produits laitiers, on en trouve des produits identiques à ceux vendus sous la marque du producteur, mais moins chers s’ils sont conditionnés pour la vente pour le compte d’une grande surface ! It’s a win-win case, for fuck’s sake!

Je ne m’attends pas à ce que vous preniez des mesures raisonnables et sages. Vous n’êtes pas à la tête d’une entreprise familiale. Vous effectuez le travail d’un robot corporatiste, et vous n’êtes pas dans l’obligation de posséder une âme, un cœur. Mais puisque je vous écris, je vais vous faire part d’un autre aspect concernant Carrefour Roumanie.

Un gros atout de Carrefour en Roumanie est qu’il offre une petite partie des produits en provenance de Carrefour Italie. C’est parfois la raison pour laquelle je choisis votre enseigne. Dommage que cette gamme aussi soit de plus en plus mince.

Je vous donne un tuyau : le meilleur miel de châtaigne trouvable en Roumanie, c’est le « Miele di castagno Carrefour Classic, confezionato di Apicoltura Piana S.p.A. nello stabilimento di via G. P. Piana 1450, 40024 Castel San Pietri Terme (BO)». Il est presque aussi bon que le miel de châtaigne italien vendu en Allemagne sous la marque Breitsamer Honig.

Tenez, j’aurais apprécié le « Cioccolato di Modica IGP Terre d’Italia » (EAN 8012666502998), mais en Roumanie, Carrefour n’a offert que le chocolat « con scorze d’arancia » (EAN 8012666503155). Il n’est plus offert.

Je viens de constater que Carrefour.it me bloque si je n’utilise pas un VPN pour obtenir une IP d’Italie, mais puis Carrefour.ro me bloque si je n’ai pas une adresse IP de Roumanie ! Sont-ils tous des tarés chez Carrefour ? Les sites nationaux sont fermés à l’accès de l’extérieur pour éviter que le public compare les prix, c’est ça ?

À part ce miel dont je parlais, pourquoi achèterais-je quoi que ce soit depuis Carrefour, vu que cette enseigne littéralement prend les gens pour des cons ?

Je ne sais pas si je puis toujours vous prier d’accepter l’expression de mes sentiments distingués. Déjà, si j’ai besoin d’un VPN pour accéder à vos sites…

Serais-je un tout petit peu hyperréactif ?